Depuis quand travaillez-vous à Châteauroux et comment avez-vous commencé ?
Sam Abdoullattive : J’ai travaillé pour le Centre communal d’action sociale dès 1994 en tant qu’animateur, ensuite j’ai intégré le service jeunesse de la ville de Châteauroux en tant qu’éducateur sportif en 1996, principalement dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). En parallèle, j’ai créé mon club de boxe, toujours actif aujourd’hui. Quatre ans après, j’ai eu une proposition que je ne pouvais pas refuser. J’ai donc quitté ce service municipal pour diriger la maison de quartier de Saint-Jean. Pendant quinze ans, j’ai géré cette structure qui proposait des activités éducatives et sportives aux jeunes avant de retourner aux côtés de la Ville au sein du Pôle Insertion et Médiation en 2016, à sa création
Voir un jeune qui se sentait exclu reprendre confiance, obtenir son premier salaire et envisager un avenir, c'est ma plus belle récompense
Pourquoi avoir choisi de vous engager auprès des jeunes par le sport dans un premier temps ?
Au début, c’était la passion du sport. Petit, je pratiquais déjà plusieurs disciplines : judo, karaté, boxe, football, handball, basket… Le sport m’a apporté des valeurs essentielles comme le respect, l’échange, la connaissance de l’autre, l’esprit d’équipe, le vivre-ensemble et le dépassement de soi. Ces valeurs, j’ai voulu les transmettre aux jeunes pour leur donner une structure et leur éviter de tomber dans les mauvaises influences. Mais au-delà du sport, j’ai rapidement compris que l’accompagnement des jeunes devait être plus global : leur offrir des perspectives professionnelles, leur donner des outils pour comprendre le monde du travail et les aider à s’insérer durablement. C’est pour ces raisons que j’ai accepté le défi du lancement du Pôle Insertion et Médiation !
Quel rôle joue le Pôle Insertion et Médiation (PIM) dans le quartier ?
Le PIM a été créé en 2016 à la demande de la Ville, et installé dans l’ancien commissariat de proximité, pour répondre à diverses problématiques dans les quartiers prioritaires Saint-Jean et Saint-Jacques. Il fallait redonner confiance aux habitants et ramener de la sérénité, car il y avait du trafic, des motos, des quads, des chiens en liberté… Les habitants craignaient de traverser la place. Pour ma part, prendre la direction de ce pôle faisait sens, j’étais assez bien identifié des habitants et je connaissais leurs problématiques. Notre mission, depuis le début, est la médiation, l’insertion professionnelle et la prévention. Nous avons une position idéale dans le quartier, nous sommes accessibles et présents sur le terrain via nos médiateurs et bénévoles. Nous accompagnons tout le monde vers l’emploi, il n’y a pas de limite d’âge ! En presque dix ans, nous avons accompagné des centaines de personnes, mis en place des partenariats avec des agences d’intérim, des entreprises locales et des organismes de formation pour faciliter l’accès à l’emploi et encourager les initiatives locales. En plus d’informer, d’orienter et de mettre en relation avec des entreprises, nous proposons divers ateliers : théâtre, alphabétisation, français, simulation d’entretien d’embauche…
Pouvez-vous nous parler du dispositif « Tous au boulot » ?
C’est un projet qu’on a lancé en 2024 pour aider les personnes en grande précarité, parfois dépendantes à des substances psychoactives, à retrouver une dynamique de travail. Avec le PIM, nous avions dès 2022 commencé un travail de création de lien social avec cette partie de la population, en organisant des rondes pour échanger, puis des repas gratuits. L’idée est simple : plutôt que de passer la journée à faire la manche sans reconnaissance, ils travaillent quelques heures et sont payés le soir même. Nous avons réussi à positionner cinq personnes pour un contrat de un an grâce à Solidarité Accueil Châteauroux. Puis nous en avons intégré trois sur un chantier pour repeindre nos locaux. D’autres ont ensuite été orientés vers des chantiers d’insertion, et nous continuons à les accompagner pour qu’ils puissent se stabiliser. Mais aussi de les aider à suivre des soins et à sortir de leur dépendance quand c’est le cas, notamment avec l’aide de l’association Addictions France.
Justement, quel est l’impact du renouvellement urbain sur la dynamique sociale et professionnelle du quartier ?
Le renouvellement urbain joue un rôle important dans la transformation des quartiers. À Châteauroux, cela a permis de rénover des infrastructures, de créer de nouveaux logements et d’améliorer l’accessibilité des équipements publics. Mais ces changements doivent s’accompagner d’une vraie dynamique sociale, sans quoi les populations en difficulté risquent d’être exclues du processus. Avec la destruction d’anciennes tours et la création d’espaces modernisés, il est essentiel d’impliquer les habitants dans la vie du quartier. Cela passe par l’embauche locale sur les chantiers, mais aussi par le développement d’activités associatives et culturelles. Avec le PIM, nous travaillons avec les entreprises du BTP pour inclure des clauses d’insertion dans leurs contrats, ce qui permet à des personnes éloignées de l’emploi d’obtenir une première expérience professionnelle. En parallèle, nous veillons à ce que les habitants puissent s’approprier ces changements positivement, notamment par la médiation et la communication. La rénovation ne doit pas être synonyme d’éviction, mais bien d’inclusion.
Qu’est-ce qui vous motive au quotidien dans votre travail ?
C’est d’être utile à l’autre. Je crois qu’on peut retrouver la France tolérante et bienveillante que j’ai connue en arrivant ici, après avoir fui la guerre du Viêt Nam. Ce pays nous a offert une nouvelle vie, et aujourd’hui, je me bats pour que chacun trouve sa place et puisse réussir. Mon combat, c’est d’empêcher les jeunes de tomber entre les griffes des trafiquants, de leur donner confiance et de faire en sorte que les jeunes deviennent acteurs de leur vie et de leur quartier. J’y crois, et je continuerai à me battre pour cela. J’ai également une conviction profonde : l’insertion passe par la formation, le travail et le suivi au quotidien. Il faut créer des passerelles entre les besoins économiques des entreprises et les habitants qui recherchent un emploi. À travers des dispositifs comme « Tous au boulot » ou les chantiers d’insertion, nous démontrons qu’avec un accompagnement adapté, chacun peut trouver sa voie et contribuer à la vie collective. Et c’est cette dynamique qui me motive chaque jour. Voir un jeune qui se sentait exclu reprendre confiance, obtenir son premier salaire et envisager un avenir, c’est ma plus belle récompense. Et c’est ce qui me pousse à continuer.
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