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© ANRU/Sylvie Dupic

En vue

À La Courneuve, un habitant s'engage pour l'éducation de la jeunesse

Rencontre avec Abdel Saadouni, qui a passé toute sa vie à la Cité des 4000, à La Courneuve. Ce Franco-marocain a fait de l’éducation populaire une vocation. Du bidonville aux grands ensembles, il a vécu et observé la transformation du quartier.

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Abdel Saadouni : Au début des années 1960, ma famille s’installe au bidonville de la Campa. Nous y avons vécu des choses tellement dures. Après ça, tu n’as plus peur de la vie, tu n’as plus peur de rien. En 1972, j’ai 14 ans et nous déménageons dans la cité de transit. Nous la surnommons « la Cité verte » parce qu’elle est composée de tôle verte en préfabriqué. Une centaine de familles vit ici dans l’attente d’un logement. Yougoslaves, Portugais, Algériens, Marocains, Espagnols cohabitent entre ces rangées de baraquements.

Le seul Français, c’est le gardien. Il y a un centre social. Je côtoie les animateurs et j’ai envie de faire pareil. Ce virus d’aider les autres me prend très tôt. À 16 ans, ils m’embauchent en renfort, l’été. Je me forme et j'obtiens le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur, puis celui aux fonctions de directeur. Un jour, ils quittent la cité. Je récupère les clés du local pour ouvrir un atelier réparation de vélo et un atelier peinture. Je commence à y mener des projets pédagogiques. Plus tard, je suis recruté en centre de loisirs.

J’ai réussi à m’en sortir un peu, peut-être que je peux en sauver quelques-uns.

La bande d’animateurs m’ouvre sur un autre monde et me fait sortir des 4000. À 19 ans, je suis propulsé directeur du centre de loisirs Langevin. J’ai 230 enfants à ma charge et passe 50 % de mon temps sur le terrain. À l’époque, ici c’est une zone de non-droit, avec les trafics, les rivalités et l’insécurité. En 1981, une équipe opérationnelle se structure au sein de la mairie, avec un architecte, un sociologue et un animateur de la maison de la citoyenneté. Nous sommes un peu rêveurs, nous pensons qu’en dix ans, tout va se transformer et aller beaucoup mieux, mais après la construction des grands ensembles, les équipements publics se font attendre.

"Les 4000, c'est ma terre"

En 1984, ma famille est relogée à Renoir, dans un HLM. Nous sommes huit à vivre dans une cage à poules. À 32 ans, pour mieux comprendre les problématiques du quartier, je m’inscris en maîtrise Sciences et Techniques connaissance des banlieues. Depuis 2001, je suis devenu chargé de mission développement territorial et coordinateur de quartier. Je vis aujourd’hui avec ma famille dans un pavillon excentré, mais je viens toujours acheter ma baguette dans le quartier. Les 4000, c’est ma terre. J’aurais pu être un truand mais je m’en suis tiré en m’impliquant dans l’éducation populaire. J’ai réussi à m’en sortir un peu, peut-être que je peux en sauver quelques-uns.

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