Agrandir l’image
© Olivier Roller

En aparté

Boulevard de Yougoslavie : un roman du renouvellement urbain

Pendant quatre ans, trois auteurs du collectif Inculte ont mené l’enquête sur le projet de renouvellement urbain du quartier du Blosne, à Rennes. Dans le roman Boulevard de Yougoslavie, ils livrent un portrait sensible d’un territoire en pleine reconfiguration et de ses habitants, devenus maîtres d’usage de leurs lieux de vie.

Vu dans en villes, le mag de l'anru

Publié le

Il y a un peu plus d’un an, les éditions Inculte ont publié un roman intitulé Boulevard de Yougoslavie. Écrit à six mains par Arno Bertina, Mathieu Larnaudie et Olivier Rohe, ce livre met en scène les coulisses d’un grand projet de renouvellement urbain, celui du Blosne, un quartier sorti de terre au début des années 1960 au sud de Rennes. Le personnage principal de notre histoire est un urbaniste sûr de son savoir, indique Arno Bertina. Il se heurte à une contestation populaire véhémente de la part des habitants qui ne se reconnaissent pas dans le diagnostic qu’il a effectué. Fait extraordinaire, la ville donne raison à sa population et décide de se dessaisir un peu de son pouvoir de décision pour créer un véritable dialogue démocratique. L’urbaniste va peu à peu se débarrasser de ses certitudes et se laisser gagner par cet exercice de concertation inédit avec des personnes qui vont progressivement devenir expertes et proposer des choses que les professionnels n’allaient pas imaginer.

J'ai pu mesurer à quel point les les bonnes idées peuvent parfois achopper sur des détails (...) si on n'a pas un accès direct aux perceptions des habitants

Construit au début des années 1960 sur des champs au sud de Rennes, le quartier du Blosne compte aujourd’hui plus de 17 000 habitants. Loin des clichés des cités minérales, il est une enclave verdoyante et aérée, constituée d’îlots reliés par des cheminements labyrinthiques demeurés au fil des ans à l’écart de la métropole, malgré cinq stations de métro ouvertes en 2002. Avec sa population en déclin et ses problématiques économiques et sociales alarmantes, le quartier est au coeur de la stratégie urbaine de la ville depuis la fin des années 2000. Il fait d’ailleurs l’objet d’une convention NPNRU.

Plusieurs mesures d’ampleur ont d’ores et déjà été engagées pour redynamiser le quartier : construction d’un nouveau bâtiment pour le conservatoire à rayonnement régional, d’un pôle associatif, de trois résidences étudiantes, d’une douzaine de cellules commerciales, restructuration de plusieurs places. Le boulevard de Yougoslavie, lui, est devenu piéton et a été rebaptisé Rambla, à l’initiative des habitants ambassadeurs qui ont participé au voyage d’études à Barcelone.

Pendant trois ans, les trois auteurs parcourent donc le territoire à la rencontre des élus, des acteurs économiques, des maîtres d’oeuvre et surtout des habitants, une trentaine au total, de tous âges et de tous horizons, de l’adolescent syrien à la vieille dame qui se vante de voir le mont Saint-Michel depuis son appartement au dernier étage. Ils iront de découverte en découverte. Ils sont d’abord les témoins de l’attachement des habitants pour ce quartier. C’est ensuite la sincérité de la démarche du projet qui les désarçonne.

La maîtrise d’usage au cœur du projet
Peu optimistes quant à la profondeur des promesses politiques en général, les écrivains se laissent surprendre par la volonté assumée par la mairie de transférer une partie de son pouvoir de décision aux habitants, avec l’aide de l’agence d’urbanisme Audiar et de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de Rennes (IAUR) chargés de mettre en place une démarche participative forte. J’ai assisté à un aparté entre un urbaniste et un représentant de la mairie lors d’une réunion avec les habitants. Le premier faisait remarquer à l’autre que s’ils fermaient tous deux les yeux, ils seraient incapables de savoir si leurs interlocuteurs étaient des thésards spécialistes des questions urbaines ou des résidents du quartier, tant l’analyse qu’ils produisaient était fine et adaptée au contexte. Ils semblaient authentiquement convaincus que la parole des habitants comptait autant que la leur et que le projet dont ils portaient la conception et la réalisation devait être une œuvre participative.

«Notre livre est hommage aux volontés de se rencontrer au-delà des statuts»

Troisième découverte : les bonnes intentions ne sont rien sans les actes. Si la stratégie de coconstruction déployée au Blosne a finalement fonctionné, c’est parce que la ville et l’IAUR ont choisi d’en faire un axe prioritaire du projet, en s’en donnant les moyens, en particulier en constituant une ambitieuse communauté d’habitants ambassadeurs qui a compté jusqu’à 100 membres, embarqués dans deux voyages d’études à Berlin et à Barcelone. Mais surtout, les acteurs « professionnels » ont compris que l’implication des habitants n’était pas un dû. Il ne suffit pas de tendre un micro pour que les gens prennent la parole ! Certains le feront sans souci, mais pour les autres, c’est parfois beaucoup plus compliqué ! J’ai aussi pu mesurer à quel point les bonnes idées pouvaient parfois achopper sur des détails qui restent ignorés si on n’a pas un accès direct aux perceptions des habitants.

Au Blosne, par exemple, le directeur de la maison du quartier a invité dans son bureau des femmes qui n’osaient pas s’exprimer en public. En petit comité, elles se sont ouvertes, se sont senties légitimes et leurs remarques ont finalement profité à toute la communauté… Au-delà du récit du projet, notre livre est aussi un hommage à cette volonté de se rencontrer et de partager par-delà les statuts et les parcours individuels pour construire une ville où chacun trouve sa place, indique Arno Bertina.

Un roman d'Arno Bertina, Mathieu Larnaudie et Olivier Rohe, Inculte éditions, 2021.

Découvrir les autres articles du magazine