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En aparté

Mossi Traoré : "La vraie ascension sociale, c'est de ne plus devoir quitter le quartier pour réussir"

Rencontre avec le créateur de mode reconnu, qui se définit avant tout comme un acteur de la banlieue engagé. Douze ans après le début de son aventure dans la mode, il a accompli de nombreux projets, notamment dans son quartier d’origine à Villiers-sur-Marne (94), qui a fait l’objet d’un programme de renouvellement urbain dans le cadre du PNRU.

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Votre avez lancé votre marque éponyme Mossi en 2018 et avez été lauréat du Prix Pierre Bergé à l’Andam deux ans après. Qu’est-ce qui caractérise votre marque de prêt-à-porter féminin ?

Mossi Traoré : Mossi est une marque avec un esprit couture urbain, créatif et innovant. La mode est mon moyen d’expression, ça me permet de challenger mon esprit créatif, de partager et faire plaisir. Je propose une mode qui peut parler à tout le monde, une mode inclusive. Aujourd’hui, il y a deux courants qui se dessinent au sein de la mode. D’un côté, celle qui priorise le rêve, et de l’autre celle qui privilégie la responsabilité écologique, l’éthique et la confiance. Je me positionne entre les deux. Je propose une mode plus responsable que « strass et paillettes » ! Elle amène du rêve autrement. Chaque vêtement vendu correspond à la création d’emploi en banlieue car tout est produit en Île-de-France, ce n’est pas du social marketing que nous faisons, mais du social de terrain. Plus globalement, le projet Mossi c’est de mener des actions positives pour les habitants des quartiers prioritaires, d’être un acteur social du Grand Paris.

Les problèmes sont toujours présents, mais l'ANRU travaille dur pour amener des choses positives

 

Justement, vos collections font souvent l’objet d’expositions dans les quartiers prioritaires. Pouvez-vous nous en dire plus ?

En effet, j’ai eu l’occasion de faire trois expositions dans mon quartier d’origine et dans le XVIIIe arrondissement de Paris, ainsi qu’un défilé de mode aux Hautes-Noues pendant la Fashion Week 2021. C’est appréciable de voir que les villes m’accordent leur confiance et me laissent monter des projets à impact positif pour les habitants du quartier. Par exemple, en 2021, nous avons organisé l’exposition « Mouvements » avec six artistes différents, dont les écrivains Bala et Ilham Ech Chaddadi, le calligraphe Hassan Massoudy, les deux danseurs Absoulaye Bayy (hip-hop) et Léonore Baulac (danseuse étoile) et le photographe Julien Benhamou. Les murs des quartiers ont été utilisés comme des musées à ciel ouvert. L’exposition était une fusion entre les calligraphies, les poèmes et les photographies et avait pour objectif d’évoquer les différents types de mouvements, qu’ils soient corporels ou sociétaux. Le prochain projet serait de créer un musée de la haute couture à Villiers-sur-Marne afin de promouvoir les métiers de la mode dans les quartiers prioritaires. Nous sommes dans une démarche de démocratisation de la mode en la rendant plus accessible sur plusieurs aspects avec l’insertion d’emploi, la formation et les expositions photos. Nous ramenons la culture aux pieds des habitants des QPV et nos expositions ont donné envie à d’autres habitants de la cité d’utiliser les murs pour faire de même.

En 2015, vous avez créé « Les Ateliers Alix », une école de formation aux métiers de la couture ouverte à toutes et tous, implantée à Villiers-sur-Marne. Quelles sont vos ambitions ?

Devenir "La Masia" (NDLR : centre de formation du club de football espagnol FC Barcelone, souvent considéré comme le meilleur du monde) de la couture en banlieue ! Les Ateliers Alix étaient d’abord basés à Paris et sont désormais aux Hautes-Noues, à côté de mon atelier. J’avais envie de créer une école qui favorise la transmission, l’insertion sociale et professionnelle dans le monde de la mode, qui soit inclusive, propose de la formation d’excellence et forme les talents de demain. Par rapport au territoire dans lequel je travaille, l’accès à la formation et l’insertion professionnelle sont des problématiques que nous pouvons rencontrer donc c’est cohérent pour moi de permettre à chacun d’exprimer son talent qu’importe son origine, son statut social ou son genre, de partager. Ce n’est pas nouveau pour moi. J’ai grandi dans une banlieue où le partage et la solidarité font partie de notre ADN. Aujourd’hui, je recrute des jeunes du quartier qui veulent intégrer mon école, faire des stages au sein de ma marque. Je vois que ça a donné envie à certains de croire en leurs rêves et d’aller les décrocher. Depuis l’ouverture des Ateliers Alix, nous avons formé plus d’une centaine de personnes ; cette année encore, nous accueillons une vingtaine de personnes. La banlieue est un laboratoire de talents qui a toujours nourri la mode. Avec les Ateliers Alix, nous les emmenons vraiment dans le milieu de la mode.

Vous vivez toujours aux Hautes-Noues. Quel regard portez-vous sur votre quartier ?

Le quartier a changé de visage. Nous, c’était l’époque des espaces verts et des bacs à sable. Je parle des Hautes-Noues avec le regard d’un enfant où chaque journée était une aventure de vie. Les deux écoles dans lesquelles j’ai étudié ont été rénovées et maintenant ce sont mes neveux qui y vont, c’est plus moderne. Je vois la volonté d’améliorer le quartier avec la création d’un parc qui est devenu un lieu convivial. Je pense que l’ANRU travaille dur pour amener des choses positives pour le quartier. Cependant, les problèmes sont toujours présents, l’égalité des chances aux hautes études et l’aide à l’entrepreneuriat ne sont toujours pas suffisantes. Avec mes expositions, l’atelier ou encore le projet de musée de la haute couture, je veux montrer aux habitants des banlieues qu’ils ont d’autres perspectives d’avenir professionnel. Selon moi, ces politiques publiques porteront leurs fruits quand l’ascension sociale ne sera plus de quitter le quartier pour réussir

  • 2011 -2014 Lancement de sa première marque Zhen et Mossi en collaboration avec une amie rencontrée pendant sa formation
  • 2015 Création de l’école Les Ateliers Alix
  • 2018 Lancement de sa marque de prêt-à-porter féminin MOSSI
  • 2020 Organisation d’un défilé au siège de Paris Habitat
  • 2020 Lauréat du Prix Pierre Bergé de l’ANDAM

À venir…

  • 2023 Création de Taléma, une entreprise d’insertion

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