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En aparté

C215, street artiste : "Au-delà de murs peints, il faut aussi des infrastructures dans les quartiers..."

En une vingtaine d’années, Christian Guémy alias "C215" s’est imposé comme une figure du street art, qui investit notamment les murs des quartiers prioritaires. La qualité de son travail – de la découpe à la mise en couleurs – et son engagement humaniste et associatif lui valent aujourd’hui une reconnaissance internationale. Rencontre.

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Pour l’état civil, Christian Guémy est né à Bondy en 1973. Mais il naît véritablement à 30 ans,lorsqu’il prend le pseudonyme de C215 et commence à bombersur les murs des portraits au pochoir. Au lieu de nous traquer, la ville de Vitry, où j’habitais alors, nous a proposé de décorer des murs dans des quartiers de logements sociaux. J’ai fait venir des artistes du monde entier pour apporter un peu de beauté dans les endroits où elle manquait le plus.

En quelques années, la ville du Val-de-Marne est surnommée « capitale mondiale du street art » et devient une véritable galerie à ciel ouvert, drainant des amateurs venus du monde entier, appareil photo en bandoulière, admirer les oeuvres de C215 et de ses complices. Dès le début, le projet de l’artiste va au-delà de sa propre personne : C215 est aussi le nom d’une association qui organise des expositions d’art urbain et publie des ouvrages témoignant de la vitalité de ce mouvement : graffs, pochoirs, tags mais aussi hip-hop, dance, slam, rap, vidéo… Ce qu’on appelle art urbain recouvre un foisonnement de formes et d’initiatives, dont les plus intéressantes témoignent d’un véritable engagement sociétal, précise-t-il.

Des œuvres humanistes

Le pochoiriste dont les portraits sont immédiatement reconnaissables aux lignes qui les sillonnent, comme autant de fractures, veut précisément faire bouger les lignes. À Vitry, il peint les portraits d’invisibles, les déshérités, les pauvres, les sans-abri. Avec ses cartons découpés et sa peinture en spray, il intervient sur les murs des favelas de Rio, se rend au Rwanda pour honorer les justes et les rescapés du génocide, en Haïti pour alerter sur la guerre civile, en Ukraine pour témoigner de la violence des bombardements russes. J’essaie simplement, en réalisant une fresque sur un immeuble bombardé, de faire naître un peu de beauté dans les décombres et de susciter une émotion qui invite à la réflexion, analyse-t-il.

Avec ses bombes de couleurs, C215 poursuit son combat jusqu’à l’intérieur des maisons d’arrêt. Vingt-cinq prisons françaises ont déjà reçu sa visite : il y a peint des oiseaux en train de s’évader, des chats pensifs, des visages de femmes mais aussi des portraits d’anciens détenus célèbres : Nelson Mandela, Missak Manouchian,Pierre Brossolette…

Sur le boulevard de la Chapelle, à Paris, il a représenté, sur une fresque d’une douzaine de mètres de haut, le visage rêveur de Laurent Guibahi, un jeune ivoirien de 14 ans retrouvé mort à Roissy après s’être dissimulé dans le train d’atterrissage d’un avion. À Paris toujours, sur des boîtes aux lettres ou des armoires électriques, il repeint inlassablement les portraits régulièrement dégradés de Simone Veil ou d’Ahmed Merabet, le policier tué lors des attentats de Charlie Hebdo. Le lien entre tous ces portraits, ce sont les valeurs qu’ils portent, souligne Christian Guémy, qui s’estime moins humaniste que ses œuvres : J’essaie simplement de faire ce que je dois faire. Ces devoirs qu’il s’assigne font sa liberté : Prendre mes responsabilités de citoyen me grandit. Je peins des gens bien aussi parce qu’ils me font du bien, souligne-t-il.

Une transition culturelle

À l’approche de la cinquantaine, C215 se sent davantage curateur et organisateur qu’artiste d’atelier ou de coins de rue. En mettant mon expérience et mon réseau au service de projets d’envergure, j’ai le sentiment de participer plus efficacement à une transition culturelle indispensable pour permettre aux Français de vivre avec tous leurs nouveaux visages, confie le pochoiriste. L’aventure est en bonne voie.

Au-delà de murs peints, il faut aussi des infrastructures dans les quartiers, des îlots culturels en plus des îlots de fraîcheur

À Rouen, Grenoble, Toulouse, Bayonne ou Sète, les fresques s’emparent des murs des quartiers prioritaires. Les maires ont compris l’intérêt de cette forme d’art pour dynamiser leur territoire. Grâce aux collectivités locales, la France est pratiquement au premier rang mondial en matière de fresques d’art urbain, s’enthousiasme Christian Guémy, qui pointe l’efficacité de ce type de dispositif : Pour un coût très faible, vous avez un impact très fort. Vous amenez de la poésie, du rêve, des émotions positives dans un quartier. En faisant cela vous l’apaisez et vous transformez le regard de ses habitants. Cet été, quand, pour le festival international des arts urbains, les habitants du quartier Champagne de Laon ont vu débarquer la presse et des visiteurs du monde entier pour s’intéresser à l’endroit où ils vivent, ils étaient les premiers à servir de guide, à être fiers de ce qui se passait chez eux.

Lucide et exigeant, le street artiste ne se satisfait pas de ces succès. Au-delà de murs peints, il faut aussi des infrastructures dans les quartiers, des îlots culturels en plus des îlots de fraîcheur. Et surtout, mieux reconnaître et faire connaître le travail de tous ceux, artistes, bénévoles, associations, qui œuvrent pour le bien commun, conclut-il.

Visitez le site web de C215

Agenda
Jusqu’au 28 janvier 2023,le centre d’art de Bonneuil-sur- Marne présente Slava Ukraini, une exposition du travail réalisé par C215 en Ukraine en mars et avril 2022.

Stencil History X, Samantha Longhi, Éditions C215, 2007
C215 par Patrick Le Fur, collection Opus Délits, 2009
Vitry ville street art… Critères éditions, 2013
C215, la monographie, aux Éditions Albin Michel, 2015
Petits poèmes vagabonds, de Christian Guémy, Le Temps des Cerises, 2018
11 400 enfants. C215. Critères éditions, 2022

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