Agrandir l’image
Sabine Barles. © ANRU

En aparté

Sabine Barles : "Il faut prendre acte des conséquences matérielles de l'urbanisme"

Professeure d’urbanisme-aménagement à l’université Paris-1-Panthéon-Sorbonne, Sabine Barles est membre du laboratoire Géographie-Cités. En 2025, elle a reçu le Grand Prix de l’urbanisme pour ses recherches pionnières sur le métabolisme urbain. Rencontre avec une chercheuse qui renouvelle la manière de penser l'aménagement du territoire et ses impacts environnementaux.

Vu dans en villes, le mag de l'anru

Publié le

En Villes : Comment définir la notion de métabolisme urbain ?

Sabine Barles : ce terme vient de la biologie. Quand on parle de métabolisme urbain, on veut mettre l’accent sur le fait que les sociétés humaines et urbaines ont une base matérielle et que leur relation avec l’environnement se traduit physiquement par des échanges d’énergie et de matières. Dans ces flux, il y a tout ce qui rentre (eau, matériaux de construction, aliments, produits agricoles, énergie fossile, etc.), ce qui reste (bâtiments, infrastructures), et ce qui sort (émissions atmosphériques, déchets et rejets dans l’eau). Ces rejets sont liés à ce que l’on a consommé. C’est une façon d’observer la ville à travers les échanges de flux, de stocks d’énergie et de matières nécessaires à son fonctionnement.

La sobriété devrait inciter à consommer moins de matières,à aller plutôt vers la reconversion des bâtiments, la réhabilitation

Comment vous êtes-vous spécialisée sur ce domaine de recherche ?

J’ai abordé le triptyque ville-technique-environnement d’un point de vue historique pour essayer de comprendre comment les professionnels de l’urbain ont, depuis le XVIIIe siècle, analysé la ville. Certaines analyses menées au XIXe siècle par les chimistes, puis dans les années 1960 par des écologues, ressemblent beaucoup à ce qu’on appelle aujourd’hui le «métabolisme urbain». J’ai fait mienne cette approche pour avoir une vision plus globale des interactions entre les villes et la biosphère, les sociétés humaines et leurs environnements. Par-delà cette inspiration historique, je me sens concernée par la question de la dégradation de la biosphère.

Pour mesurer les impacts de l’urbanisme et de l’aménagement, il faut selon vous reconnaître leur dimension technique…

On oppose souvent les questions techniques (ingénierie des transports, génie urbain) et l’urbanisme, qui serait issu des sciences sociales et n’aurait à ce titre pas de dimension technique. Or, il faut dépasser cette opposition pour prendre acte des conséquences matérielles de l’urbanisme, en matière d’affectation des sols, de consommation de matériaux ou de production de terres excavées (sol creusé). Dire que l’urbanisme consomme est assez récent. Dans les premières années du PNRU, il n’y avait pas de réflexion sur la production de déchets, ou les enjeux de réemploi ou de recyclage engendrés par les démolitions. C’est symptomatique de la façon dont l’urbanisme a ignoré ces questions. Les choses ont évolué, il y a une plus grande attention portée à ces sujets dans le NPNRU.

Que pensez-vous des expérimentations de métabolisme urbain menées sur des chantiers portés par l’ANRU ?

Les choses avancent. Plaine Commune mène des opérations de recyclage et de réemploi de matériaux de construction sur ses chantiers. Il s’agissait au départ de valoriser du recyclage à l’échelle de l’opération voire de la parcelle. Assez vite, les acteurs ont été confrontés à un problème de place : déconstruire et réutiliser implique de pouvoir stocker sur site. Cela rend l’opération complexe parce qu’il y a un décalage temporel entre le moment où sont produits les déchets qui vont être réemployés ou recyclés, et le moment où l’on va en avoir besoin. Plaine Commune a donc misé sur des opérations en réseau qui peuvent échanger de la matière entre elles. Est Ensemble a produit une charte sur l’économie circulaire mais le métabolisme a du mal à infuser dans les opérations. Les intercommunalités s’inscrivent dans une perspective de croissance et il y a une contradiction majeure entre développement urbain et sobriété. Une des principales difficultés rencontrées sur ce type de chantiers, c’est que peu de choses sont réemployables hormis les éléments du bâti non porteur. Autre limite : il est difficile pour l’instant d’injecter du métabolisme dans les documents d’urbanisme.

L’urbanisme peut-il être un levier pour la transition écologique des territoires ?

Il peut l’être à condition que l’on donne l’importance qu’elles méritent aux questions de sobriété dans toutes leurs dimensions : foncière, matérielle ou énergétique. On avance souvent l’idée selon laquelle démolir est une bonne chose parce qu’on va pouvoir faire de l’économie circulaire. Le problème, c’est qu’on ne questionne pas suffisamment la production de déchets liés à cette démolition. La sobriété devrait inciter à consommer moins de matières, à aller plutôt vers la reconversion des bâtiments, la réhabilitation. Reconfigurer les infrastructures peut aussi avoir un impact sur d’autres flux du métabolisme. Par exemple, si je fais un tuyau plus petit, il y aura moins d’eau consommée. La société tout entière doit changer son organisation pour préserver les ressources et ménager l’habitabilité de la Terre.

On oppose souvent les questions techniques et l’urbanisme, qui serait issu des sciences sociales

Comment aller vers une rénovation urbaine plus sobre ?

Il faudrait quantifier la part du métabolisme impactée par une opération. Est-ce que je touche 1 % ou 90 % du métabolisme ? L’architecture d’inspiration bioclimatique permettrait d’atteindre de meilleures performances, et de proposer des solutions moins coûteuses en matière, en énergie, peut-être en argent, plus low-tech aussi. À travers ses programmes, l’ANRU peut avoir un impact sur ce métabolisme. Il faut également penser des relations plus équilibrées entre les villes, leurs territoires et milieux (approvisionnement, rejet de déchets). Réfléchir aux alternatives, même de façon spéculative et prospective, me paraît crucial pour ouvrir le champ des possibles en matière d’avenir des sociétés humaines et de la biosphère.

  • 1988 : Diplôme d’ingénieure en génie civil et urbanisme, INSA Lyon 
  • 1989 : DEA Urbanisme et pratiques de l’espace, École nationale des ponts et chaussées – université Paris-8 
  • 1990 : DEA Histoire des techniques, École des hautes études en sciences sociales 
  • 1993 : Thèse de doctorat « La pédosphère urbaine : sol de Paris, XVIIIe-XXe siècles » 
  • 2004 : Habilitation à diriger des recherches 
  • 2020 : Docteure honoris causa de l’université de Liège 
  • 2023 : Médaille d’argent du CNRS 
  • 2025 : Grand Prix de l’urbanisme